Sujet :

Thème II Les clause limitatives de responsabilité

Gonzague
   Posté le 25-10-2006 à 15:44:11   

L'exposé portera sur la saga Chronopst il sera en ligne à la fin de la semaine
Gonzague
   Posté le 25-10-2006 à 15:45:19   

Les arrêts importants sont

Ch com 22 oct 96
Contrats, conc., consom. 1997, comm. n° 24, obs. L. Leveneur ; D. 1997, Jur. p. 121, note A. Sériaux ; Somm. p. 175, obs. P. Delebecque ; RTD civ. 1997, p. 418, obs. J. Mestre ; Defrénois 1997, 333, obs. D. Mazeaud ; JCP 1997, I, 4002, obs. M. Fabre-Magnan et 4025, obs. G. Viney et II, 22881, obs. D. Cohen.

Ch com 9 juillet 2002
Contrats, conc., consom., 2003, comm. n° 2, obs. L. Leveneur ; D. 2002, AJ p. 2329 ; Somm. p. 2836, obs. P. Delebecque ; D. 2003, p. 457, obs. D. Mazeaud ; Dr. et patrimoine 2002, chron. n° 3182, obs. F. Chabas ; JCP E 2002, p. 1923 s., obs. M. Billiau et G. Loiseau.

Ch mixte 22 avril 2005
D. 2005, Jur. p. 1864, note Tosi ; RTD civ. 2005, p. 604, obs. P. Jourdain ; Contrats, conc., consom. 2005, comm. n° 150, obs. L. Leveneur ; JCP 2005, II, 10066, obs. G. Loiseau ; RDC 2005, p. 651, avis de R. de Gouttes, p. 673, obs. D. Mazeaud, et p. 752, obs. P. Delebecque ; Rev. Lamy dr. aff., sept. 2005, p. 8, note G. Viney ; Cass. com., 24 mars 2004, RDC 2004, p. 998, obs. P. Delebecque ; 21 févr. 2006, D. 2006, AJ p. 717, obs. E. Chevrier ; Contrats, conc., consom. 2006, comm. n° 103, obs. L. Leveneur ; RDC 2006, p. 000, obs. D. Mazeaud ; 7 juin 2006, D. 2006, AJ p. 1680, obs. X. Delpech .

Ch com 21 février 2006 pourvoi 04-20139

Ch com 30 mai 2006 pourvoi 04-14-974 F P+B+I+R

Ch com 13 juin 2006 pourvoi 05-12-619 FS P+B+R+I
Gonzague
   Posté le 27-10-2006 à 23:43:23   

Université Paris II Panthéon Assas
Master professionnel assurance
Gonzague de Montrichard
Philip Frank Ruiz Aguilera


Thème II :
Liberté et responsabilité contractuelle


Clauses limitatives de responsabilité
-Validité
-Faute dolosive et faute lourde
-Clauses abusives
-Obligation essentielle
-Clause pénale


Exposé :
La saga Chronopost





Lorsqu’une inexécution d’une obligation contractuelle est établie, le préjudice sera intégralement réparé sauf si une clause plafonne le montant de la réparation ou au contraire aggrave la sanction.

C’est la volonté commune des parties qui permettra de limiter le risque de responsabilité en cas d’inexécution, ou du moins en théorie puisque, dans la majeure partie des contrats, ces clauses sont imposées par la partie la plus puissante.

Quand la liberté asservie c'est la loi qui libère. Le droit a donc mis en place des moyens d’écarter les clauses limitatives de responsabilité abusives :

- D’abord à travers, la protection des consommateurs (loi 10 janvier 1978) et la lutte contre les clauses abusives. Cependant le champ d’application de cette loi nécessite soit la violation d’un décret ou un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties et exclue les professionnels.

- La faute lourde ensuite, sur le fondement de l’article 1150 du code civil : « Le débiteur n’est tenu que des dommages et intérêts qui ont été prévus ou qu’on a pu prévoir lors du contrat, lorsque ce n’est point par son dol que l’obligation n’est point exécutée. »

- et enfin, la « saga Chronopost ». C’est-à-dire l’utilisation de la cause et/ou de la faute lourde pour écarter la clause limitative de réparation abusive.
Rappelons la chronologie des décisions de ce qu'il faut bien appeler une « saga judiciaire » :
Il était une fois la société Banchereau, spécialisé dans le négoce de viande, qui devait envoyer une adjudication avant le lendemain midi, cependant Chronopost échoua dans sa mission et la société perdit le lot. Le client voulu alors obtenir réparation mais une clause limitative de responsabilité s’opposait à la réparation intégrale de son préjudice. D’où une valse judicaire en quatre temps :

- Chronopost 1 : La CA de Rennes par application de l’article 1150 refusa d’écarter la clause limitative de responsabilité, ne relevant aucune faute lourde. En revanche la Cour de cassation en se fondant sur la cause considère qu’en raison du manquement à cette obligation essentielle (l’obligation de garantie de délai et de fiabilité), la clause limitative de responsabilité du contrat, qui contredit la portée de l'engagement pris, doit être réputée non écrite (Cass. com., 22 oct. 1996, Bull. civ. IV, n° 261).

- Chronopost 2 : La CA de Caen applique la solution de la chambre commerciale mais son arrêt va être cassé car tout en confirmant sa position de 1996 la Cour de cassation admet que l'invalidation de la clause limitative de responsabilité entraîne l'application du plafond légal d'indemnisation prévu par le contrat-type applicable à la cause, que seule une faute lourde du transporteur peut tenir en échec (Cass. com., 9 juill. 2002, Bull. civ. IV, n° 121)

- Chronopost 3 : Le débat va alors désormais porter sur la faute lourde, laquelle, selon la Cour de cassation, caractérisée par une négligence d'une extrême gravité confinant au dol et dénotant l'inaptitude du débiteur de l'obligation à l'accomplissement de sa mission contractuelle, ne peut résulter du seul retard de livraison (Cass., ch. mixte, 22 avr. 2005) (2 arrêts)..

- Chronopost 4 : Cass com 21 février 2006 (fin de l’affaire Banchereau) la faute lourde de nature à tenir en échec la limitation d'indemnisation prévue par le contrat-type ne saurait résulter du seul manquement à une obligation contractuelle, fût-elle essentielle, mais doit se déduire de la gravité du comportement du débiteur. (Cass, com 13 juin 2006). Ce n'est pas l'inexécution en elle-même qui peut caractériser la faute lourde mais les causes de cette inexécution qui la caractériseront.

- Pour finir précisons qu’il existe une multitude d’autres arrêts reprenant ces solutions, notamment les arrêts du 30 mai 2006 et du 13 juin 2006 de la chambre commerciale.

Les arrêts de la Chambre commerciale sont doublement intéressants au regard du droit des clauses de responsabilité. En premier lieu, les arrêts permettent de faire le point sur les façons d’écarter les clauses limitatives de réparation qu’oppose la société Chronopost à ses clients. En second lieu, ils contribuent au développement de la notion de faute lourde et au rôle qu’il faut lui assigner.

I - La dualité des clauses limitatives de réparation « Chronopost »
Pour écarter les clauses, en vertu desquelles l'indemnisation de l'expéditeur est limitée au montant du prix du transport, il est nécessaire, selon la jurisprudence de la Cour de cassation de distinguer selon que la clause en question est ou non prévue par un contrat type de transport routier, établi par décret. Si ce n’est pas le cas la clause sera anéantie par la preuve du manquement du débiteur à une obligation essentielle, qui prive de cause l'obligation de l’expéditeur (A). En revanche si un contrat-type prévoit la clause son sort dépendra de la preuve d'une faute lourde imputable au débiteur (B).
A – Les clauses limitatives de réparation d’origine contractuelle

Nous sommes là, à la genèse de la « saga Chronopost » le 22 octobre 1996 lorsque la Chambre commerciale déclare qu’ « en raison du manquement à une obligation essentielle, la clause limitative de responsabilité, qui contredisait la portée de l’engagement pris, devait être réputée non écrite. » En somme la Cour de cassation s’appuie sur le concept de cause pour neutraliser la clause. On se souvient que cette référence à la cause, avait provoqué de très vives critiques, le professeur Larroumet qualifiant l’arrêt de « bavure judiciaire ».

On reprocha à la Cour de cassation
- « le caractère inutile du recours à la cause » qui conduit à faire l'impasse sur l'article 1150 du code civil, lequel n'écarte la réparation du seul dommage prévisible qu'en cas de faute lourde ou dolosive.
- la création d'un « risque » de police judiciaire et d'insécurité juridique, engendré par une telle exploitation de la notion de cause.
- d'avoir commis une erreur technique dans la mise en oeuvre de la théorie de la cause : dire que la clause litigieuse privait de cause l'obligation de l'expéditeur est une erreur, l'engagement du débiteur avait bien une contrepartie, qui résidait dans l'engagement du transporteur d'acheminer le colis. Dès lors, la clause litigieuse, si elle limitait effectivement la sanction de l'inexécution de l'obligation de ponctualité, ne supprimait pas pour autant l'obligation souscrite par le transporteur et ne privait point de cause.
Outre le fait de déformer le moment où apprécier la cause, à l’exécution et non de la formation, la Cour déforme également la sanction de l’absence de cause. D’habitude il s’agit d’une nullité devenue relative, or ici la clause est réputée non écrite. Nous sommes proches avec cette sanction de la législation sur les clauses abusives.


Malgré la contestation, la Chambre commerciale de la Cour de cassation persiste encore cette année (Cass, com 30 mai 2006).
On relèvera que, la doctrine française, finalement approuve cette rénovation de la cause, imaginée en 1996, et réitérée en 2006. En effet, aux termes de l'article 1125, alinéa 2, de l'avant-projet Catala, est réputée non écrite « toute clause inconciliable avec la réalité de la cause ». Ce texte vise à consolider la règle de la Chambre commerciale, et accrédite l'idée qu'une clause, qui ruine la cohérence interne du contrat de transport rapide et qui contredit la portée de l'obligation essentielle du transporteur, doit être supprimée du contrat parce qu'elle prive de cause l'obligation de l'expéditeur.

Et on comprend alors que ce qui avait justifié, les critiques doctrinales émises contre l'arrêt de 1996, procédait d'une perception radicalement différente de la notion et du rôle de la cause. La réaction doctrinale reposait sur la vision classique de la cause objective, exploitée exclusivement pour protéger, dans un contrat synallagmatique, chaque contractant contre un engagement souscrit, dont la contrepartie est dérisoire ou absente.
Pour la Cour de cassation, en revanche, il s'agissait de doter la cause d'un dynamisme dont elle était jusqu'alors privée.
Concrètement, la cause est exploitée pour exercer un contrôle de l'intérêt du contrat et, précisément, pour neutraliser les clauses qui ruinent sa cohérence interne, parce qu'elles portent atteinte à son essence, et le vident de sa substance, trahissant alors la confiance légitime du contractant à qui elles sont imposées.

Et c'est bien cette rénovation de la notion de cause que consacre l'avant-projet de réforme du droit des obligations et du droit de la prescription, dont l'article 1125, alinéa 2, pourrait à l'avenir constituer le visa des arrêts que la Cour de cassation rendra pour résoudre la question qui lui était posée dans ces affaires.

Dans la dernière affaire en date du 30 mai 2006 ne s'agit pas d'un transport routier mais d'un transport aérien, aucun contrat-type n'avait donc vocation à s'appliquer à la relation qui unissait la société Chronopost à son client. Dès lors, la neutralisation de la clause limitative de réparation stipulée dans le contrat ne provoquera pas l'application du droit des transports, mais celle du droit commun des contrats. Faute d'application d'un contrat type, le plafond « légal » d'indemnisation ne se substituera pas à la clause limitative de réparation réputée non écrite. L'expéditeur, victime du manquement du transporteur à une obligation essentielle du contrat, pourra espérer obtenir, de la cour d'appel de renvoi, la réparation intégrale de son préjudice.


C’est lorsque la clause est d’origine réglementaire que la jurisprudence démarrée en 1996 reposant sur la cause se trouve limitée.

B – Les clauses limitatives de réparation d’origine réglementaire

Lorsque le droit commun des transports terrestres est applicable, la clause limitative de réparation d'origine « légale » déploie ses effets, sauf si l’expéditeur apporte la preuve d'une faute lourde imputable au transporteur rapide. Tel est l’apport de l’arrêt rendu par la Chambre commerciale de la Cour de cassation, le 9 juillet 2002.

Le 22 octobre 1996, cette même Chambre commerciale avait réputé non écrite la clause limitative de réparation, stipulée dans le contrat conclu entre la société Chronopost et un expéditeur professionnel. Puis, la cour d'appel de renvoi avait, en application du droit commun des contrats, condamné le transporteur à réparer l'intégralité du préjudice subi par l'expéditeur. C'est cet arrêt qui a été cassé par l'arrêt du 9 juillet 2002.
La Chambre commerciale a adopté l'argumentation de Philippe Delebecque. La suppression de la clause limitative de réparation litigieuse conduisait nécessairement à l'application du droit commun des transports en vue de déterminer l'indemnisation du préjudice subi par l'expéditeur. Or, en matière de transport routier de marchandises, le contrat-type messagerie (établi par le décret du 4 mai 1988, remplacé depuis, en des termes identiques, par un nouveau contrat type général, issu du décret du 6 avril 1999), applicable à l'opération en cause, dispose précisément que la réparation due par le transporteur en cas de retard dans l'acheminement des colis est limité au montant du prix du transport...
Autrement dit, la société Chronopost bénéficiait finalement d'un plafond « légal » de réparation que la clause qu'elle avait « contractuellement » imposée à son client ne lui avait pas permis d'obtenir...
Toutefois, la Chambre commerciale avait ajouté que ce plafond légal de réparation devait être écarté en cas de faute lourde imputable au transporteur rapide.

La première question tranchée par l'arrêt de 2002 était celle de l'application du contrat-type, qui a suscité des appréciations doctrinales contrastées.
Selon Jean-Pierre Tosi, et, contrairement à la jurisprudence de la Cour de cassation, « l'application du contrat-type était loin d'aller de soi ».
-D'une part, celle-ci suppose que la société Chronopost se soit contractuellement engagée en qualité de transporteur. Or, dans la plupart des affaires «la qualification de commissionnaire de transport aurait pu être recherchée ». Plus qu’un transporteur Chronopost est le concepteur du transport.
-Par ailleurs, le fondement sur lequel repose le plafond « légal » réside, dans l'existence d'une option offerte à l'expéditeur qui peut échapper au plafond de réparation en souscrivant une déclaration d'intérêt spécial à la livraison. Or, en raison de son libellé, la clause contractuelle supprime, de facto, l'option en question. L’esprit de la clause réglementaire est donc ici dénaturé.
Tant et si bien que la prétendue substitution du plafond « légal » à la clause contractuelle, par l'effet de l'application du contrat type, se solde, en fait, par l'impossibilité de l'expéditeur « d'échapper au plafond dérisoire d'indemnisation des dommages » causés par le manquement du transporteur à son obligation essentielle.

Mais, la Cour de cassation, en dépit de la pertinence de ces objections, a maintenu le cap. Le Conseil d'Etat, saisi d'une demande en annulation pour excès de pouvoir d'une décision du ministre des Transports, par laquelle celui-ci avait refusé d'abroger la clause limitative de réparation prévue dans le contrat-type, s'est clairement prononcé sur la validité de celle-ci au regard de l'article L. 132-1 du code de la consommation (CE 6 juillet 2005). Pour décider qu'une telle clause n'est pas abusive, le Conseil a retenu,
-d'abord, que le contrat-type n'est que supplétif de la volonté des contractants,
-ensuite, que l'expéditeur peut échapper à la limitation de réparation en souscrivant une déclaration d'intérêt spécial qui a pour effet de substituer le montant de cette déclaration au plafond d'indemnisation,
-enfin, que ce plafond peut être écarté en cas de faute lourde du transporteur.

On peut ne pas être convaincu par une telle motivation.
-Le caractère abusif d'une clause ne dépend pas du fait de savoir si le contractant, victime de l'abus, a pu la négocier librement ou si elle lui a été imposée. Ce critère de l'abus, que la loi du 10 janvier 1978 avait édicté et que l'avant-projet de réforme du droit des obligations a repris, a disparu depuis l'entrée en vigueur de la loi du 1er février 1995 qui n’exige qu’un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties.
-Par ailleurs, comme il a déjà été dit, « la possibilité de déclaration d'intérêt est totalement fictive ».
-Enfin, le caractère abusif d'une clause ne dépend pas du comportement ultérieur du contractant qui en profite mais du déséquilibre significatif initial qu'elle provoque entre les droits et les obligations des parties au contrat.

Reste qu'en l'état du droit positif, seule la faute lourde constitue un obstacle à l'efficacité des clauses limitatives de réparation prévues dans un contrat-type que la société Chronopost peut opposer à ses clients. Et, par deux arrêts rendus en Chambre mixte, le 22 avril 2005, la Cour de cassation a précisé la définition de la faute lourde qui devait alors être adoptée. Avant que ces arrêts ne soient rendus, deux conceptions étaient retenues en doctrine.
-Aux termes de la première, la faute lourde doit s'entendre classiquement d'un comportement d'une extrême gravité, dénotant l'inaptitude du débiteur à l'accomplissement de sa mission contractuelle.
-Mais certains plaidaient pour que soit en outre retenue la conception objective de la faute lourde, dont la qualification procède alors du caractère essentiel de l'obligation inexécutée.
On comprend l'enjeu de la controverse doctrinale.
-Si on avait adopté la seconde conception, le simple retard ou la seule perte du colis imputables à la société Chronopost devaient être qualifiés de faute lourde, car ils constituent un manquement à l'obligation essentielle de célérité et de fiabilité souscrite par celle-ci. (Civ I 2 décembre 97)
-En revanche, si la conception subjective de la faute lourde était choisie, le caractère essentiel de l'obligation inexécutée par le transporteur était insuffisant pour caractériser l'existence d'une faute lourde et pour permettre à l'expéditeur d'obtenir l'indemnisation intégrale de son préjudice. Il faut, qu'il apporte la preuve d'autres manquements, établissant l'inaptitude du transporteur à l'exécution de la mission contractuelle.

Et on sait que c'est finalement en ce sens que s'est prononcée la Cour de cassation dans ses arrêts de Chambre mixte précités et dans ceux que la Chambre commerciale a rendus par la suite. Lorsqu'un contrat-type est applicable pour régir l'indemnisation due par la société Chronopost à ses clients, la position de la Cour de cassation, est désormais claire : « la faute lourde de nature à tenir en échec la limitation d'indemnisation prévue par le contrat type ne saurait résulter du seul manquement à une obligation contractuelle, fût-elle essentielle », « seule une faute lourde caractérisée par une négligence d'une extrême gravité confinant au dol et dénotant l'inaptitude du débiteur de l'obligation à l'accomplissement de sa mission contractuelle, peut mettre en échec la limitation d'indemnisation prévue au contrat type établi annexé au décret ».
La seule perte du colis expédié ou le seul retard ne sont pas constitutifs d'une faute lourde, susceptible d'exclure le jeu du plafond d'indemnisation, laquelle suppose donc que soit rapportée la preuve d'autres éléments permettant de conclure à l'inaptitude du débiteur à l'accomplissement de sa mission. Le meilleur exemple est de reprendre les faits de l’arrêt du 13 juin 2006 où Chronopost a failli à sa mission qui était de livrer un pli en 24h à 25km et l’expéditeur n’a pas démontré de manière positive un comportement particulièrement défectueux, anormalement déficient, du transporteur, la Cour de cassation a donc nié l’existence d’une faute lourde.


Cette définition de la faute lourde donnée par la jurisprudence n’est pas satisfaisante.
-Politiquement, elle conduit à favoriser de façon aberrante Chronopost qui peut inexécuter ses obligations sans risques.
-Juridiquement, selon Madame Viney, la Cour de cassation « va trop loin dans la dissociation de la faute lourde et du manquement à l'obligation essentielle ou fondamentale du contrat », puisqu’un un tel manquement « révèle le plus souvent l'inaptitude du débiteur à assumer la mission contractuelle acceptée ».

En définitive, on l'a compris, en cas d'application d'un contrat type, les clients de la société Chronopost, victimes d'un retard dans l'acheminement de leur courrier ou d'une perte de leur colis, éprouveront beaucoup de difficultés à échapper au plafond dérisoire d'indemnisation. L’espérance d'obtenir l'indemnisation intégrale de leur préjudice, suppose l'absence d'application d'un contrat-type établi par décret sinon il faudra prouver une faute lourde du transporteur.



II – Le régime de la faute lourde en présence de clauses limitatives de responsabilité

Il convient de s'interroger sur le champ d'application de la notion de faute lourde définie, en 2005, par les arrêts rendus en Chambre mixte puis appliquée, en 2006, par la Chambre commerciale. En premier lieu, la jurisprudence pose la question de l’unité d’appréciation subjective de la notion de faute lourde (A). En second lieu on appréciera les conséquences sur la notion de faute lourde (B).
A – La généralisation de l’appréciation subjective de la faute lourde ?

La conception subjective de la faute lourde adoptée par la Cour de cassation depuis 2005, dans ses différents arrêts « Chronopost », doit-elle être cantonnée aux seules clauses limitatives de réparation prévues dans un contrat-type, établi par décret, ou jouer d'une façon générale, pour tous les plafonds de réparation, quelle que soit leur origine (contractuelle, réglementaire ou légale), et quelle que soit la qualification des contrats dans lesquels la sanction de l'inexécution est plafonnée ?

En faveur d'une application étroite de la conception subjective de la faute lourde, plusieurs arguments peuvent être avancés.
-D'abord, au regard de la lettre des arrêts, on relèvera que c'est toujours l'efficacité de « la limitation d'indemnisation prévue au contrat type » ou « par le contrat type » qui constitue l'enjeu de la qualification de faute lourde et qui est expressément visé dans la motivation des décisions de 2005 et de 2006.
-Ensuite, parce que cette approche restrictive de la faute lourde s'inscrit dans la logique du droit commun des transports routiers qu'incarnent les contrats types. Or, « les plafonds de réparation font partie de l'économie même du droit des transports et ne doivent être écartés que devant des situations particulières, pour ne pas dire exceptionnelles ».
-Enfin, si la faute lourde objective, résultant du manquement à une obligation contractuelle essentielle, peut être retenue en droit commun de la réparation, c'est parce qu' « en matière contractuelle (...) la volonté doit être causée ». Dès lors, si la conception objective doit être écartée pour les limitations « légales » d'indemnisation, c'est parce que le contrat-type « ne tire pas sa force de la volonté des parties mais du pouvoir réglementaire ».

Deux éléments feront préférer l’application large :
-D'abord, au nom d'une certaine cohérence, on peut avoir du mal à comprendre que, selon l'origine contractuelle, légale ou réglementaire d'une clause limitative, l'effet serait différent en cas de faute lourde.
-Ensuite, M. LARROUMET critique de façon très pertinente la notion de faute lourde : le critère de la faute lourde ne peut pas se trouver dans l'importance de l'obligation inexécutée mais dans la gravité du comportement du débiteur.



Si tel est bien le cas, et si la jurisprudence « Chronopost » sonne la fin de la conception de la faute lourde objective, c'est alors toute une partie de la jurisprudence de la Cour de cassation en matière de clause de responsabilité qui serait frappée de caducité. (Civ I, 2 décembre 1997 la vidéo surveillance et l’appel au client en cas de problème).

La Cour de cassation a, en s'appuyant sur la notion de faute lourde objectivement appréhendée, considéré comme inefficaces des clauses de responsabilité qui permettaient au débiteur de limiter ou d'exclure sa responsabilité en cas d'inexécution d'une obligation contractuelle considérée comme essentielle, fondamentale ou substantielle.
Grâce à cette objectivation de la faute lourde, la Cour de cassation permit de baliser la liberté contractuelle en neutralisant les clauses de responsabilité qui portent atteinte au coeur du contrat.

La disparition de cette jurisprudence, adoptant une conception objective de la faute lourde, n'emporterait pas un déficit de justice contractuelle et ne se traduirait pas, à l'avenir, par un regain de vitalité des clauses de responsabilité qui privent le contrat de toute cohérence interne. En effet, en cas de manquement à une obligation contractuelle essentielle, le recours à la faute lourde est désormais inutile, la cause ou l’utilisation du droit de la concurrence (loi NRE interdiction des abus de dépendance économique) permettraient au cocontractant lésé d’arriver à ses fins.


B – La mise à l’écart de la faute lourde

En cas de manquement du débiteur à une obligation essentielle, l'arme de la faute lourde objective, est désamorcée, mais pour autant la protection contre les clauses de responsabilité qui permettent au débiteur d'échapper à toute sanction n'en sera pas affectée. Comme l'arrêt du 30 mai 2006 (à propos des montres) le suggère, c'est la notion de cause qui sera désormais exploitée par le juge pour neutraliser de telles clauses.

Dans l'arrêt de 1996, la Cour, expliquait la raison pour laquelle une clause limitative de réparation, qui réduisait à un montant dérisoire la sanction du manquement à une obligation essentielle, devait être réputée non écrite pour absence de cause : c'est parce qu'« elle contredisait la portée de l'engagement pris » par le débiteur.
Au fond, donc, ce qui emporte, au nom de la cause, la suppression des clauses de responsabilité, c'est qu'elles privent le contrat de cohérence interne en autorisant le débiteur à se contredire illégitimement au détriment de son cocontractant. D'une main, il souscrit un engagement essentiel dans lequel se cristallise l'intérêt du contrat et constitue la raison d'être de l'engagement réciproque de son cocontractant. De l'autre, il insère une clause de responsabilité qui neutralise la sanction de l'inexécution de cet engagement et trahit ainsi la confiance légitime de ce dernier.

La notion de cause, comme fondement de la nullité des clauses de responsabilité qui prévoient une sanction dérisoire lors d’un manquement à une obligation essentielle, est alors promise à un essor important. Elle a désormais vocation à être exploitée pour neutraliser, non seulement les clauses de responsabilité, mais aussi toutes les clauses qui ruinent la cohérence interne d'un contrat, parce qu'elles contredisent la portée de l'engagement souscrit par le débiteur et trahissent ainsi la confiance légitime du créancier dans l'exécution dudit engagement.


On relèvera que l'avant-projet de réforme du droit des obligations prévoit une disposition, susceptible de s'appliquer dans l’espèce.
L'article 1382-2 : « Un contractant ne peut exclure ou limiter la réparation du dommage causé à son co-contractant (...)par le manquement à l'une de ses obligations essentielles ».
Aucune allusion n’est faite à la cause et seul manquement à une obligation essentielle est visé pour justifier la neutralisation des clauses de responsabilité qui limitent la sanction du manquement à une obligation essentielle.
Reste que cette absence de référence à la cause ne signifie pas nécessairement un désaveu de la jurisprudence. On peut, en effet, considérer que, l'article 1382-2 est une déclinaison du principe énoncé à l'article 1125, alinéa 2, en vertu duquel « Est réputée non écrite toute clause inconciliable avec la réalité de la cause ».

Pour conclure notons que les affaires Chronopost illustrent comment par des moyens détournés la Cour de cassation essaie de parvenir à ses fins, c’est-à-dire le maintien du respect d’une certaine économie générale du contrat.
En prévision des futurs litiges, d’autant que cette semaine La Poste vient d’annoncer la création d’un service d’envoi rapide garanti pour les professionnels, l’avant-projet Catala semble poser un principe clair qui assurerait une meilleure sécurité juridique que les avancées toujours très nuancées de la Cour de cassation.