Sujet :

Thème VI : Le préjudice

Marie
   Posté le 27-11-2006 à 07:22:16   

bonjour à tous! voici notre exposé sur la naissance de l'enfant handicapé. Bonne lecture!


La naissance de l’enfant handicapé



2 millions de personnes sont atteintes de handicaps sévères en France.
Les techniques actuelles nous permettent de minimiser le risque de naissance d'enfants gravement handicapés.

On peut tout d’abord se demander si la naissance d'un enfant peut être la source d'une responsabilité médicale
1ère hypothèse : l'échec d'une interruption volontaire de grossesse. L’ enfant naît parfaitement constitué, mais sans avoir été désiré. On suppose donc qu'une faute a été commise par un médecin chargé de pratiquer l'intervention. Dans ce cas, la 1ère chb Civile du 25 juin 1991 et le Conseil d'état dans un arrêt du 2 juillet 1982 estiment que le fait de naître lorsque l'enfant est parfaitement constitué n'est pas en soi un préjudice réparable ni pour l'enfant ni pour les parents.
2ème hypothèse : la naissance peut devenir un préjudice réparable en raison des circonstances qui l'ont entourée. Distinguons 2 situations :
- 1er cas : handicap provoqué au cours de la grossesse ou de l'accouchement soit par une faute médicale soit par l'auteur de violences. La question de la légitimité du dommage ne se pose pas ici et le lien de causalité est direct. On constate un dommage spécifique, distinct de la naissance elle-même pour obtenir réparation. En effet, ce n'est pas la naissance qui constitue le dommage mais bien le handicap, car si l'acte reproché au défendeur n'avait pas été commis l'enfant serait né sans handicap. Cette exception concerne aussi bien l'action de la mère que celle de l'enfant lui-même.
- 2ème cas : le handicap congénital dont le risque n'a pas été révélé par le médecin aux parents avant la conception ou la naissance. Dans ce cas, la faute du médecin, laquelle consiste dans l'inexécution de son obligation d'information, a ainsi privé les parents de la possibilité d'éviter la conception ou de recourir à l'avortement thérapeutique et donc a eu pour conséquence de permettre la naissance de l'enfant handicapé. Dans ce cas, le médecin voit-il sa responsabilité engagée pour violation de son obligation d'information et si oui à l'égard de qui ? La question qui se pose in fine est de savoir si l’enfant né handicapé peut prétendre lui-même à une indemnisation, et si oui, sur quel fondement et au titre de quel préjudice ? Y a-t-il dans ce cas un lien de causalité direct ? Ce dernier cas pose problème, car toutes les questions de procréation et de contrôle des enfants amènent des débats sociologiques, éthiques, médicaux ou économiques. Ces questions ne peuvent pas être réglées uniquement par le droit. Cela montre de façon éclairante les difficultés auxquelles la Justice est confrontée dès lors que les questions de droit avoisinent avec des questions de société.

Pour une meilleure compréhension, nous avons choisi de traiter ce sujet de façon chronologique étant donné qu’à chaque fois qu’une solution a été proposée, elle s’est trouvée critiquée tant sur un plan juridique que sur un plan humain. C’est pourquoi, au cours de cet exposé, nous serons très souvent à la limite du droit. Celui-ci étant très riche sur la question, on a essayé d’aller à l’essentiel.



I. Avant la loi de 02


A. Arrêts antérieurs à Perruche

• En matière de jurisprudence civile :

- Par un arrêt du 16 juillet 1991, la Cour de cassation a reconnu au profit d'un enfant handicapé dont la faute du médecin qui n'avait pas prescrit la sérologie de la rubéole pourtant obligatoire, lui avait fait perdre "la chance d'éviter de supporter les conséquences de la maladie". Pareille motivation revient, nous semble-t-il, à présumer le lien de causalité
- Dans un arrêt du 3 févier 1993, la Cour de Cassation a déclaré le médecin responsable du préjudice de l'enfant car le traitement in utero du handicap du fœtus présentait 97% de réussite selon les experts.
- En revanche, la CA de Bordeaux dans un arrêt du 26 janvier 1995, considère que : si un être humain, dès sa conception est titulaire de droits, il ne possède pas celui de naître ou de ne pas naître, et la suppression de sa vie ne peut pas être considérée comme une chance ou une malchance dont il peut tirer des conséquences juridiques…
- Enfin un arrêt rendu par la première chambre civile, le 26 mars 1996 précède dans son raisonnement l’arrêt perruche : un médecin consulté sur les troubles neurologiques d'un mari, avait cru pouvoir dire qu'ils n'étaient pas héréditaires. Or, un enfant né par la suite présenta les mêmes troubles. La Cour de cassation approuve l'arrêt d'appel qui avait indemnisé tant les parents, que l'enfant pour avoir eu le malheur de naître.

• En matière de jurisprudence administrative :

- Dans plusieurs arrêts du CE et notamment dans l’arrêt Quarez du 14 février 1997, les magistrats ne reconnaissent pas de réparation du préjudice de naissance de l'enfant. En revanche, pour le préjudice des parents, il décide que la naissance de l'enfant ne peut être en soi un préjudice indemnisable et qu'il ne peut l'être que s'il y a des conditions particulières comme la naissance avec handicap.
- Le 12 février 1996, Mme Ladurée se présente à l’hopital pour y accoucher. Durant l'accouchement, le médecin accoucheur confronté à des difficultés d'extraction de l'enfant qui le conduisent à utilser des "forceps qui permet à l'enfant de naître. Malheureusement, celui-ci, est atteint d'une tétraplégie.
Selon le Tribunal, le médecin "a commis une faute par défaut de précaution car celui-ci n’a pas réalisé tous les examens indispensables en la position du fœtus.
En dépit du refus d'indemniser la faute du médecin, faute de lien de causalité dû à l’incertitude quand au moment où le fléchissement de la tête du fœtus s’est produit, le Tribunal conclut finalement à l'engagement de la responsabilité du centre hospitalier en raison d'une seconde faute commise du médecin. En effet, le Tribunal relève un comportement fautif ouvrant droit à indemnisation du préjudice subi. Il estime que le manquement au devoir d'information, en l’espèce concernant les risques que présentait cet accouchement, a privé la mère de la possibilité de donner un consentement éclairé
En conséquence, le juge alloue une rente annuelle de 27000€ jusqu'au 18 ans de l'enfant. Chacun des parents obtient 12 500 euros en réparation des troubles dans leurs conditions d'existence et de leur douleur morale.
On constate que même en l’absence de lien de causalité, le TA alloue une rente à l’enfant, On remarque que celle-ci est d’un montant nettement supérieur à la réparation du préjudice des parents. La décision du Tribunal administratif de Rennes du 3 avril 2002 tient donc compte du drame personnel subi par une famille dont la vie a été brisée par une insuffisante information médicale, sans distinguer le préjudice des parents de celui de l’enfant.

B. Arrêt Perruche

1. La décision en elle-même

Le différend oppose Madame Perruche et les médecins qui l’ont suivie pendant sa grossesse. Pendant cette période, elle contracte la rubéole. Face aux risques d’atteinte in utero de l’enfant, elle émet le souhait, devant son médecin, de recourir à une interruption volontaire de grossesse si les résultats des analyses médicales montrent qu’elle développe cette affection. Suite à plusieurs erreurs, le médecin annonce, à tort, à sa patiente qu’elle est immunisée contre la maladie. Madame Perruche poursuit sa grossesse et donne naissance à un enfant lourdement handicapé (handicaps mentaux et physiques). Le couple saisit la justice, recherche la responsabilité du médecin et du laboratoire d’analyse pour faute et demande à titre personnel réparation de leur préjudice et de celui de leur enfant, en tant que représentants légaux.
Cet arrêt a soulevé une bataille juridique entre les CA et la Cour de Cassation, les premières reconnaissant le préjudice des parents en raison de fautes du corps médical mais pas celui de l’enfant en raison de l’absence de lien de causalité entre la faute du médecin et le handicap ; alors que la juridiction suprême, après avoir reconnu une première fois le préjudice de l’enfant , s’est entétée dans cette décision le 17 nov 2000, lorsqu’elle fut saisie dans sa forme la plus solennelle en assemblée plénière. En effet, selon la Cour de Cassation, les médecins doivent réparer le préjudice de l’enfant, préjudice résultant des fautes contractuelles commises pendant la grossesse. La Cour insiste sur l’atteinte au droit de la mère d’interrompre sa grossesse afin d’éviter la naissance d’un enfant handicapé. Selon une jurisprudence classique, elle accorde donc une indemnisation aux parents, mais surtout elle innove en indemnisant l’enfant au titre d’un préjudice personnel.
La Cour de Cassation fait ainsi application du principe de "l'équivalence des conditions" et non de la "causalité adéquate", se rapprochant ainsi de la jurisprudence criminelle. Elle pose le problème de l'appréciation de la faute, du dommage réparable, et du lien de causalité. C’est ce dernier point qui va faire couler beaucoup d’encre.
Il semble ici que la Cour de Cassation lance un véritable appel au législateur. Car, en l’espèce, il fallait un responsable solvable à la détresse de Nicolas PERRUCHE et, en l’absence de tout dispositif social d’indemnisation, ce furent les praticiens, par leur seule implication dans le processus de la gestation, qui remplirent ce rôle.



2. Le débat autour de l’arrêt

Cette décision a suscité une immense émotion, de manière assez unanime, dans l'opinion publique et particulièrement chez les jeunes vivant avec un handicap et chez leurs familles. C'est en effet, pour eux, un « regard de mépris » qui est posé sur la vie de ces citoyens.
Les associations d'handicapés se voient offensées par un texte disant que " ne pas
naître est préférable à une vie avec handicap" ou encore que "certaines vies ne
valent pas la peine d'être vécues". Certaines associations familiales ayant même entrepris de rechercher la responsabilité de l'Etat pour faute lourde dans l'exécution du service public de la justice.
La plupart des articles de doctrine parus à la suite de la décision de la Cour de cassation sont hostiles à l’indemnisation de l’enfant. Cette hostilité manifestée parfois de façon très virulente se fonde sur un ensemble d’arguments de portée variable :

Débat juridique :
Une indemnisation sans lien de causalité direct et immédiat : Les commentateurs reviennent sur les arguments retenus par les juges du fond : la cause du handicap n’est pas, comme l’affirme la Cour de cassation, la faute du médecin et du laboratoire, mais la rubéole contractée par la mère. La faute relevée par la Cour n’est pas causale : même avec un diagnostic correct, la maladie aurait causé de graves séquelles à l’enfant. Toutefois, selon la Cour de Cassation, la mise en cause de la responsabilité du professionnel de santé ne nécessite que la preuve d'un lien de causalité entre sa faute et le préjudice allégué par l'enfant du fait d'avoir été privé de la possibilité que sa mère exerce son choix d'interrompre sa grossesse. Le préjudice subi par la personne handicapée, est donc la perte de chance qu'on ne l'ait pas laissé naître, laquelle équivaut à devoir supporter les conséquences de tout ou partie de son handicap. La Cour de Cassation accorde ainsi réparation d'un préjudice "indirect" et "incertain", puisque qu'on ne sait pas toujours, en définitive, si la mère aurait, ou non, fait le choix d'interrompre sa grossesse si elle avait été dûment avisée du risque. La Cour aurait admis un nouveau mécanisme de mise en jeu de la responsabilité : la présomption de causalité.
À ces arguments, les partisans de l’arrêt répondent que le lien de causalité peut être établi entre les fautes médicales et le handicap de l’enfant. En effet, un dommage peut trouver sa source dans plusieurs faits : le handicap résulterait aussi de l’impossibilité de la mère de recourir à l’IVG suite aux erreurs de diagnostic des médecins. Certes, il n'y aurait pas non plus eu de vie, mais cette conséquence est sans incidence sur l'appréciation du lien de causalité entre la faute commise par le médecin et le laboratoire en manquant à leur obligation contractuelle d’information.
Rappelons pour mémoire que la Cour de Cassation dans un arrêt du 13 février 2000 a posé le principe selon lequel "les tiers à un contrat peuvent invoquer tout manquement du débiteur contractuel lorsque ce manquement leur a causé un dommage, sans avoir à rapporter d'autre preuve. En l'espèce, il suffit à l'enfant de rapporter la preuve de la faute du médecin à l'égard de ses parents.

La question de la légitimité de la réparation du préjudice invoqué par l’enfant :
pour ceux qui contestent l’arrêt, l'intérêt lésé de l’enfant serait illégitime, la vie même handicapée ne pouvant constituer un préjudice. En effet, Nicolas qui n'avait aucune chance de venir au monde normal ou avec un handicap moindre, ne pouvait que naître avec les conséquences douloureuses imputables à la rubéole à laquelle la faute des praticiens est étrangère, ou disparaître à la suite d'une interruption volontaire de grossesse dont la décision n'appartient qu'à ses parents et qui ne constitue pas pour lui un droit dont il puisse se prévaloir.

QUIPROQUO : En réalité, l'AP a souhaité rendre une décision qu'elle estimait opportune. Elle a simplement voulu indemniser le handicap dont souffre un enfant pour lui permettre d'affronter la tragédie dont le destin l'a accablé. Le préjudice que la Cour cherche à réparer n’est pas la naissance, mais la naissance handicapée, avec toutes les souffrances et contraintes matérielles que cela sous-entend pour la personne. Elle ne remet pas en cause le droit à la vie mais elle y adjoint un droit à la qualité de la vie pour les parents (droit à l'avortement thérapeutique) et de l'enfant handicapé (droit aux soins et à réparation). Il n'est pas question d'exiger qu'un handicapé meurt mais de faire respecter ses droits aux soins et à réparation, comme toute personne victime d'un mauvais diagnostic et donc d'une faute professionnelle;
De plus, il paraît incohérent de reconnaître le préjudice des parents sans reconnaître celui de l’enfant.

Débat médical :

Un avocat général : "un postulat que la jurisprudence rejette au nom du respect de la dignité humaine", en effet l'arrêt implique que c'est un tort d'avoir laisser naître un enfant handicapé.
Un magistrat : " les médecins seraient en charge non seulement de la maladie mais aussi de la création des êtres "
Un médecin : " tentation de préconiser des avortements au moindre doute"
Les médecins se sentent de plus en plus attaqués, pour se protéger ils vont donc conseiller l'avortement pour de plus en plus de cas si l'arrêt Perruche se généralise.
D'après l'énoncé de l'arrêt on pourrait penser que le handicap est la conséquence d'une faute médicale, alors que la faute consiste en l'erreur de diagnostic.

Une responsabilité médicale accrue : responsabilité retenue sans lien de causalité

On peut donc considérer que l’arrêt PERRUCHE introduit sans le préciser la notion d’implication. Reprocher aux praticiens leurs fautes dans le processus de la gestation est bel et bien engager leur responsabilité sur leur simple participation à ce processus.
Cela revient à imposer aux praticiens une obligation de résultat portant sur la naissance d’un enfant en bonne santé. On s’acheminerait, en l’état, vers un système de garantie automatique. Beaucoup de praticiens indiquaient à la suite de cet arrêt qu’ils seraient incités à préconiser l’avortement au moindre doute et même en cas de handicap ne présentant pas une particulière gravité. On verrait donc se développer un mécanisme de précaution en matière médicale. De plus, les honoraires des échographes libres vont augmenter, tandis que les praticiens conventionnés vont être tentés d'abandonner l'échographie foetale du fait de la majoration des cotisations d'assurance et des réactions de repli des assureurs professionnels. Il en résulte une inégalité d’accès à l’échographie et à la médecine prédictive pour des femmes qui peineront parfois à trouver des médecins dans des milieux défavorisés ou sous équipés. On dérivera alors vers l’émergence d’une médecine à deux vitesses.
Selon nous, l'arrêt Perruche n'aboutissait pas à l'aggravation de la responsabilité des médecins et ne mettait pas en place un système de garantie automatique sans faute. En effet, l'arrêt n'admet la responsabilité du médecin qu'après avoir constaté de façon indubitable sa faute. Par suite la Cour ne remettait pas en cause le principe de la responsabilité pour faute du médecin (faute dans l'exécution de son obligation d'information).

Question qui va loin : Dans cette logique, certains ont pu considérer que " l'enfant handicapé, parce qu'il naît avec un handicap qu'il n'accepte pas, aurait la possibilité d'ester en justice contre ses ascendants. En effet, l'enfant obtiendrait le droit incontestable à ne pas naître handicapé". Ce droit imposerait alors aux parents la pratique de l'Intervention Médicale de Grossesse " dans l'intérêt de la société pour éviter d'assumer des dépenses importantes liées au handicap de l'enfant, mais aussi dans l'intérêt de l'enfant". Quant aux parents qui refuseront la sélection prénatale, ils devront assumer l'intégralité des conséquences financières de leur choix. Alors, les personnes handicapées ne seront plus une charge pour la société.
Pourtant, nous considérons que le recours à l'interruption volontaire de grossesse s'analyse comme une modalité de la liberté inaliénable, discrétionnaire et strictement personnelle de la femme. Nul ne peut se substituer à elle dans ce choix, ni le lui imposer, ce qui signifie que relève d'une pure ineptie juridique l'opinion suivant laquelle un enfant né affecté d'un handicap pourrait mettre en cause la responsabilité de sa mère pour n'avoir pas eu recours à un avortement. Il ne peut être sérieusement soutenu en droit français que la logique de l'action en wrongful life conduirait à transformer la faculté d'avortement reconnue à la mère en obligation. Quant à la mise en cause de la responsabilité du père, elle est également impossible puisque tout repose sur la seule liberté discrétionnaire de la femme.

Débat éthique/moral :
- Sur la discrimination entre enfants handicapés : L’avocat général Sainte Rose a estimé qu’une discrimination risquait de s'opérer entre des handicapés. En effet, les enfants nés handicapés mais qui avaient été désirés ne bénéficieraient que du régime de la solidarité nationale, régime bien moins favorable que celui accordé par les tribunaux aux enfants handicapés non désirés.
Le CCNE considère quant à lui que, privilégier les situations où le handicap pourrait être attribué à une faute médicale et relever d'une responsabilité individuelle introduirait d'inacceptables discriminations entre les personnes handicapées. De plus, une telle position encouragerait la recherche systématique d'une responsabilité fautive, même invraisemblable, devant tout handicap, puisque ce serait là le seul moyen d'assurer l'avenir matériel de ces personnes.

- Sur les risques de dérives eugéniques : indemniser l’enfant revient à reconnaître un droit des parents à un enfant parfait ; cela soulève une atteinte à la dignité humaine car indemniser l’enfant handicapé revient à réparer le préjudice pour vie.
Finalement pour une réparation en nature, il faudrait tuer l’enfant !!!

- un problème d’éthique : L'avis du comité d'éthique (CCNE) refuse de reconnaître le bien-fondé d'un droit à ne pas naître handicapé.
Il semble donc que les rédacteurs de l'avis aient eu peur que l'arrêt Perruche, manifestant une volonté diffuse d'eugénisme, fasse prendre conscience par contre-coup du caractère pervers du dépistage. Il considère qu’un meilleur dépistage provoquerait plus d'interruption volontaire de grossesse (IVG) et d'interruption médicale de grossesse (IMG) et donc supprime les possibles futurs réclamants. Il rappelle, donc, le devoir de solidarité nationale envers les personnes handicapées et leur famille.

Débat chez les assureurs :
Même si les associations familiales se montrent hostiles à cette jurisprudence, pour des raisons éthiques, on peut craindre que l'appat du gain ne finisse par générer un fort courant de réclamations. Le risque est donc très grand, et doit pousser les assureurs à l'intégrer dès à présent dans leurs primes.
Car, en définitive, c'est la mutualité des assurés qui paiera. Un des effets de la jurisprudence Perruche sera donc de déplacer une partie de la prise en charge du handicap des organismes sociaux, sur les assureurs de responsabilité médicale.
On rappellera que la responsabilité du professionnel de santé envers son client se prescrit dans le délai de trente ans, tandis que sa responsabilité quasi-délictuelle, à l'égard de l'enfant est de 10 ans, commençant à courir à partir de sa majorité.
Il faut tout de même noter que la Caisse d'assurance maladie, pourtant a priori garante de la solidarité nationale et de la mutualisation du risque, reste dans ses aides très en deçà des besoins créés par les handicaps profonds. On a même vu, dans le cas de Nicolas Perruche, déjà cité, cette Caisse se porter demanderesse pour obtenir le remboursement de son engagement financier considéré comme indu. Une telle position est préoccupante en ce qu'elle témoigne d'une hésitation à être, de principe, l'intermédiaire de la solidarité nationale envers les handicapés. Toutes les mesures nécessaires pour éviter d'ajouter au handicap des conditions de vie intolérables devraient être mises en œuvre. Par son intervention dans le procès, la Caisse de maladie admet qu'un enfant a donc un droit à ne pas naître handicapé.




3. La conflit ou le suivi au sein des juridictions

Dans les 3 arrêts du 13 juillet 2001, la Cour de cassation, en assemblée plénière, contrairement à l’avis du CCNE et des conclusions de l’avocat général Sainte-Rose, confirme l’arrêt Perruche. Se fondant sur cette interprétation, la Caisse primaire d'assurance maladie de l'Yonne dit avoir subi un préjudice du fait de la naissance de Nicolas Perruche et réclame 5 millions de francs.
Les trois affaires de 2001 démontrent une résistence des juges du fond qui dans des conditions similaires refusent d’indemniser le préjudice de l’enfant, se fondant sur l’absence d’un lien de causalité direct entre la faute du médecin et son handicap. La Cour de Cassation maintient ici sa volonté d’indemniser l’enfant au titre de son handicap tout en tenant compte cependant des critiques qui on suivi l’arrêt Perruche.

Cependant, la Cour précise les conditions d’applications de sa jurisprudence : si la faute médicale est commise à un moment où seul un avortement thérapeutique est concevable, la réparation n'est admise que si les conditions requises par l' article L.2213-1 du Code de la santé publique sont réunies, à savoir que deux médecins attestent que la poursuite de la grossesse met en péril grave la santé de la femme ou qu'il existe une forte probabilité que l'enfant à naître soit atteint d'une affection d'une particulière gravité.

Dans un nouvel arrêt de la première chambre civile du 9 octobre 2001 : Ce n'est maintenant plus seulement l'erreur de diagnostic qui engage la responsabilité du médecin, mais son simple défaut d'information sur les complications possible des techniques d'accouchement.
La jurisprudence considérant que constitue une faute de nature quasi-délictuelle à l'égard d'un tiers la violation d'une obligation contractuelle, les personnes handicapées à la suite d'un problème d'accouchement peuvent désormais invoquer directement le défaut d'information du médecin à l'égard de leur mère pour faire consacrer la responsabilité du médecin à leur égard, notamment sur le fondement des articles 1382 et 1383 du Code Civil.
Cette action pourra, en principe, être exercée pendant dix ans à compter de leur majorité .
La Cour de Cassation met ainsi à la charge des professionnels de santé et de leurs assureurs, l'indemnisation de toutes les "complications" liées aux soins donnés lors de l'accouchement proprement dit, via leurs assureurs de responsabilité.
Indemnisation de la perte de chance : En principe, l'indemnisation ne peut être intégrale, la Cour de Cassation ayant posé le principe selon lequel le préjudice indemnisable en cas de défaut d'information ne peut consister qu'en une perte de chance, par la mère, d'avoir accepté ou refusé la technique d'accouchement proposée.
Dignité de la personne humaine : Il faut noter dans cet arrêt que la KK a motivé sa décision en se fondant essentiellement sur la notion de dignité de la personne humaine et ce, sans doute, pour faire face aux critiques consécutives à la jurisprudence Perruche. admettre que sa naissance est un préjudice pour lui-même constitue une atteinte au respect de sa dignité


Dans un arrêt Première Chambre Civile de la Cour de Cassation du 28 novembre 2001 : La Cour de Cassation confirme et étend la solution de l'arrêt "Perruche", notamment à propos d'un enfant trisomique déclaré recevable à demander réparation de son préjudice intégral en droit commun au gynécologue qui n'avait pas informé sa mère de l'anormalité d'examens sanguins et échographiques qui auraient pourtant justifié une consultation spécialisée en génétique et en échographie.
La première espèce concerne le préjudice des parents. La Cour de cassation casse l'arrêt d'appel qui avait admis la réparation du seul préjudice moral des parents à l'exclusion de leur préjudice matériel au motif que "les parents pouvaient demander la réparation du préjudice matériel résultant pour eux du handicap en relation de causalité directe avec la faute retenue".

Dans la deuxième espèce, la Cour de cassation casse l’arêt d’appel qui a limité le montant de la réparation aux motifs que "d'une part, le préjudice de l'enfant n'est pas constitué par une perte de chance mais par son handicap" et que "d'autre part le montant de l'indemnité due au titre de l'assistance de tierce personnes à domicile pour les gestes de la vie quotidienne ne saurait être réduit en cas d'assistance familiale".
Désormais, ce n'est plus la "perte de chance" de n'être pas né qui est indemnisée par les professionnels de santé, c'est toutes les conséquences du handicap pour la vie entière qui étaient précédemment prises en charge par les organismes sociaux au nom du principe de solidarité nationale.


II. La loi anti-Perruche et ses effets

Le 28 mars 2001, le Sénat avait adopté l'amendement de M.Huriet prévoyant de compléter l'article 16 du Code Civil par une disposition selon laquelle "Nul n'est recevable à demander une indemnisation du seul fait de sa naissance", texte rejeté par l'Assemblée Nationale dans l'attente du développement de la jurisprudence.

Le Collectif contre l'handiphobie a déposé en décembre 2001 une proposition de loi renforçant l'article 16 du Code Civil en ces termes : " Nul n'est recevable à demander une indemnisation du fait de sa naissance". Cette proposition a été discutée à deux reprises à l'Assemblée nationale et rejetée par le gouvernement.

Après une année de remous autour de ce qui a été qualifié d' " Hiroshima éthique ", les députés ont adopté le 10 janvier 2002 en première lecture à l'Assemblée nationale, une proposition de loi présentée par M.Mattei pour mettre un terme à la JP Perruche.

A. La loi anti perruche

La loi du 4 mars 2002, dite « loi anti-Perruche », a posé plusieurs principes fondamentaux.

• 1er principe : article 1er alinéa 1: « nul ne peut se prévaloir d'un préjudice du seul fait de sa naissance » ; Ainsi l'enfant né handicapé ne peut pas invoquer le fait que sa naissance est un préjudice pour obtenir une indemnisation. Cela a pour effet la disparition de l’action personnelle de l’enfant pour handicap non décelé par le médecin. L’alinéa 2 nuance cette affirmation en prévoyant la possibilité pour une personne dont le handicap surgit à la naissance par faute médicale (faute provoquant directement le handicap, l’aggravant ou empêchant de prendre les mesures susceptibles de l’atténuer) de rechercher la responsabilité du médecin fautif. Le texte reconnaît ici simplement un droit de l’enfant à réparation pour faute du médecin. Son action est parallèle à celle de ses parents. Tous les éléments constitutifs doivent être réunis pour aboutir à une indemnisation de la victime : le dommage (le handicap de l’enfant), le fait générateur (la faute du médecin), le lien de causalité entre la faute et le dommage. Désormais, seul le handicap causé par une faute médicale prouvée par la victime ouvre droit à une réparation intégrale du préjudice matériel et moral de l’enfant. Enfin l’alinéa 3 envisage le cas particulier des situations de handicap non décelé par le médecin lors de la grossesse. Cette partie du texte évoque seulement l’action des parents et non celle de l’enfant. La réparation partagée par le médecin et la solidarité nationale ne concernerait donc que les parents.

• 2e principe : les parents peuvent être indemnisés de leur préjudice moral, pour tout fait fautif intervenu avant la naissance (échographie…), mais seulement en cas de faute caractérisée du médecin, ayant empêché la révélation du handicap de l'enfant au cours de la grossesse. Cette condition est pour le moins ambiguë dans la mesure où le droit civil connaît plusieurs sortes de fautes qualifiées, dolosive, grave, lourde ou encore inexcusable, mais ne connaît pas de faute "caractérisée". Il appartiendra donc à la jurisprudence en l'absence de définition légale, de définir cette faute caractérisée. La faute caractérisée ayant été consacrée en droit pénal par la loi du 10 juillet 2000, Le juge pénal semble retenir un double critère pour constater pareille faute : d'une part la gravité ou l'intensité de la faute et d'autre part son évidence. Ces critères pourraient être transposés pour apprécier la faute du professionnel de santé. Dans un arrêt du 19 février 2003 précité, le Conseil d'Etat a estimé que constitue une faute caractérisée le fait pour l'APHP d'intervertir des résultats d'analyse d'amniocentèses pratiquées sur deux patientes. A la suite de cette loi, on s’est demandé s’il fallait subordonner l’application de cette loi à une amélioration de la mise en oeuvre de la solidarité nationale. Dans un avis rendu le 6 décembre 2002 le Conseil d'Etat a donné une réponse négative. Il considère que les nouveaux régimes sont définis avec une précision suffisante pour être appliqués. L'intention du législateur a été de donner à ce texte une application immédiate. A la suite de cette loi, on s’est demandé s’il fallait subordonner l’application de cette loi à une amélioration de la mise en oeuvre de la solidarité nationale. la loi n'admet pratiquement la réparation que du seul préjudice moral des parents ceux-ci ne peuvent donc plus obtenir une indemnisation correspondant aux charges particulières découlant du handicap de l'enfant. Ce préjudice matériel relève quant à lui de la solidarité nationale. La réparation du préjudice économique est en effet limitée aux charges générales (par exemple, la cessation d’une activité professionnelle pour s’occuper de l’enfant).

• 3e principe : « les charges particulières découlant du handicap de l'enfant tout au long de la vie » sont supportées par la solidarité nationale, donc par l'Etat. A la suite de cette loi, on s’est demandé s’il fallait subordonner l’application de cette loi à une amélioration de la mise en oeuvre de la solidarité nationale. Dans un avis rendu le 6 décembre 2002 le Conseil d'Etat a donné une réponse négative. Il considère que les nouveaux régimes sont définis avec une précision suffisante pour être appliqués. L'intention du législateur a été de donner à ce texte une application immédiate. Les modalités de cette indemnisation ont été précisées par la loi du 11 février 2005 qu’on abordera plus tard. Au final, le texte introduit par la loi du 4 mars 2002 met un frein à la dérive indemnitaire des tribunaux et se traduit surtout par une aggravation de la situation des enfants handicapés et de leurs parents étant donné que la Solidarité nationale est moins généreuse que la Cour de Cassation. Cette loi, adoptée dans l’urgence, rend plus difficiles les poursuites contre les médecins en cas d’erreur de leur diagnostic prénatal. Cette tendance a été confirmée par la loi du 30 décembre 2002 relative à la responsabilité civile médicale.

• 4e principe : la loi du 4 mars 2002, et donc les dispositions précitées s'appliquent aux instances en cours au jour de son entrée en vigueur, le 7 mars 2002. Une exception est posée : la loi ne s'applique pas aux instances pour lesquelles « il a été irrévocablement statué sur le principe de l'indemnisation ».

B - Application de la loi dans le temps

La loi prévoit que l’article selon lequel nul ne peut se prévaloir du seul fait de sa naissance s’appliquera aux instances en cours (donc loi rétroactive), sauf celles où il a été irrévocablement statué sur le principe de l'indemnisation".

Le Conseil d'Etat a été sollicité pour donner son avis sur l'interprétation de cette disposition transitoire. Dans un avis du 6 décembre 2002, dans un avis contentieux DRAON, le Conseil d'Etat estime que le nouveau régime applicable en cas de naissance d'enfants handicapés bien que moins favorable aux victimes que le régime antérieur s'applique tant aux instances en cours qu'aux situations nées antérieurement à l'adoption de la loi pour des motifs d'intérêt général.
Un arrêt de la CAA de Paris du 13 juin 2002 (interprétation restrictive) estime applicable cette disposition. Or selon la loi nouvelle les parents ne peuvent réclamer que la réparation de leur préjudice moral, le préjudice matériel relevant de la solidarité nationale. Par conséquent, la Cour est amenée à réduire considérablement la provision sur indemnité accordée par les premiers juges aux parents de l'enfant handicapé. Néanmoins, l'arrêt est annulé par le Conseil d'Etat, la Cour d'appel n'ayant pas recherché comme le lui demandait le défendeur si la faute commise était caractérisée. Le Conseil d'Etat estime qu'il n'est pas sérieusement contestable que l'inversion des résultats d'analyses pratiquées sur deux patientes est constitutive d'une faute caractérisée.

L'exception concerne "les instances où il a été irrévocablement statué sur le principe de l'indemnisation" : Il en est ainsi de l'affaire Perruche dans laquelle l'Assemblée Plénière a admis le principe de la réparation du préjudice de l'enfant.


B. Les effets de la loi

- Dans un avis du 6 décembre 2002, le Conseil d'Etat a estimé que cette loi n'était contraire ni à la Convention Européenne des droits de l'homme, ni au Pacte International relatif aux droits civils et politiques. Il a rejoint également l'avis de la Cour de Cassation du 22 novembre 2002.

Décret no 2002-422 du 29 mars 2002 relatif à la création de six catégories de complément d'allocation d'éducation spéciale pour la détermination du montant du complément d’allocation d’éducation spéciale

Décret simple 2002-1387 du 27 novembre 2002 : relatif au fonctionnement et aux missions du Conseil National Consultatif des Personnes Handicapées, en particulier, celles de représentations des personnes handicapées

- Néanmoins, et dans un arrêt du 11 décembre 2002, la Cour d'Appel de Paris a refusé d'appliquer la loi du 4 mars 2002, et a accordé réparation intégrale à l'enfant Perruche en application d'un principe général, ayant valeur constitutionnelle, et supérieur à la loi.
A partir de la Loi de 2002, des dispositions ont été prises pour favoriser l’intégration des personnes handicapées.
2 mai 2003 : Publication au Journal officiel de la loi n° 2003-400 du 30 avril 2003 relative aux assistants d’éducation qui remplissent des missions d’aide à l’accueil et à l’intégration scolaires des élèves handicapés
6 novembre 2003 : Jean-Pierre Raffarin, Premier ministre, présente un plan de solidarité en faveur des personnes dépendantes, (mise en oeuvre de l’accessibilité dans le logement, les bâtiments publics, les systèmes de transport, etc.)
6 mai 2004 : L’Assemblée nationale vote la création d’une Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA) chargée de contribuer au financement d’actions favorisant l’autonomie des personnes handicapées. Cette caisse finance notamment la prestation de compensation personnalisée .
11 février 2005 : LOI n° 2005-102 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées des décrets en application de cette loi instituent des aides plafonnées et conditionnelles

22 avril 2005 : La loi du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie, stipule que les traitements ne doivent pas être poursuivis avec une "obstination déraisonnable" et fait obligation de dispenser des soins palliatifs.


III. Le retour en arrière


• LA DECISION DE LA CEDH


- Par deux arrêts du 6 Octobre 2005 (MAURICE et DRAON), la Cour Européenne des Droits de l'Homme a condamné la France en considérant que l'article 1er de la loi du 4 mars 2002 a violé l'article 1er du Protocole n°1 à la Convention en ce qui concerne les instances en cours à la date de son entrée en vigueur
La Cour européenne des droits de l’homme a considéré qu’avant l’entrée en vigueur de la loi, les requérants auraient obtenu une indemnisation beaucoup plus importante : au titre non seulement du préjudice moral, mais aussi du préjudice matériel englobant les charges particulières qui découlent pour les parents de l’infirmité de leur enfants
Or, la Cour retient que les requérants sont titulaires d’un bien. Elle ne se place pas, à cet égard, sur le terrain de la propriété acquise, mais sur celui de l’espérance légitime.
Lorsqu’ils ont introduit leur recours, les requérants avaient une espérance légitime d’obtenir la réparation intégrale des préjudices subis du fait du handicap de leur enfant.
Ainsi, du fait de l’intervention de la loi du 4 mars 2002, le droit à réparation de leur préjudice, à l’exception du préjudice moral serait devenu illusoire, puisque cette loi a eu pour effet de les priver rétroactivement de leur créance.
La Cour relève que l’indemnisation accordée par les juges français est désormais très inférieure aux expectatives légitimes des requérants au moment où ils ont introduit leurs recours.
Elle considère donc qu’il s’agit d’une privation de propriété, faisant supporter une charge spéciale et exorbitante aux familles concernées.
En effet, la CEDH estime que le fait que les charges particulières découlant du handicap de l'enfant tout au long de la vie soient indemnisées par la solidarité nationale et non plus selon les règles des jurisprudences dégagées par les juridictions civiles et administratives, porte atteinte au droit de créance dont disposait les parents de l'enfant né handicapé avant l'entrée en vigueur de la loi, puisque cette indemnisation se trouve très largement amoindrie.
La Cour européenne des Droits de l'Homme considère donc que, pour les instances en cours au jour de l'entrée en vigueur de la loi Kouchner, l'indemnisation du préjudice matériel des parents, lié aux charges engendrées par le handicap de leur enfant, doit être équivalente à celle appliquée avant la loi du 4 mars 2002 ; c'est à dire une indemnisation fondée sur la faute (non caractérisée) du praticien qui n'a pas décelé le handicap de l'enfant au cours de la grossesse
Elle conclut donc, et ce contrairement à l’avis du CE, qu’ « une atteinte aussi radicale au droit des intéressés a rompu le juste équilibre devant régner entre les exigences de l’intérêt général et la sauvegarde du droit au respect des biens ».
En conclusion, ces arrêts sont très importants en ce qu’ils remettent en cause l’esprit même de la loi du 4 mars 2002 en ses dispositions anti PERRUCHE.
Toutefois, leur portée est limitée aux affaires qui étaient déjà en cours de jugement lors de l’entrée en vigueur de la loi (à moins que son application ne soit étendue à tous les enfants nés handicapés suite à une faute médicale avant l’entrée en vigueur de la loi du 4 mars 2002.

Alors que l'offre d'assurance de responsabilité civile des praticiens et des établissements de santé se reconstituait, trois arrêts rendus par la Cour de cassation le 24 janvier 2006 viennent de nouveau fragiliser le marché de l'assurance des gynécologues-obstétriciens. Ces décisions remettent en question la rétroactivité de l'article 1er de la loi du 4 mars 2002 (loi Kouchner). Elles ont amené un important assureur du marché à suspendre la souscription de tout risque nouveau en gynécologie obstétrique et à résilier au 31 décembre 2006 les contrats en cours, si une solution n'est pas trouvée d'ici là.



• LES ARRETS DU 24 JANVIER 2006 : décision judiciaire

Par trois arrêts rendus le 24 Janvier 2006, la Cour de Cassation a trouvé l'occasion de réaffirmer sa position de principe, au moins en ce qui concerne l'application de l'article 1er de la loi du 4 mars 2002 aux instances en cours.
En l'espèce, nous nous trouvons face à trois instances en cours lors de l'application de la Loi Kouchner du 4 mars 2002, sans décision juridictionnelle passée en force de chose jugée.
- D'une part, tout comme la Cour européenne des Droits de l'Homme, la Cour de cassation a affirmé que les dispositions de la loi du 4 mars 2002 sur l'indemnisation des charges particulières découlant du handicap de l'enfant tout au long de la vie, n'étaient pas applicables aux instances en cours au 7 mars 2002 : ces charges doivent donc être supportées par le praticien (la plupart du temps par son assureur responsabilité civile) ayant commis une faute en ne décelant pas le handicap de l'enfant au cours de la grossesse.
Dans des hypothèses où des erreurs ou insuffisances de diagnostic avaient privé la mère de la chance de recourir éventuellement à une interruption de grossesse, la Cour de Cassation applique la décision de la CEDH en reprenant sa motivation, et n’applique pas la loi de 2002 puisque ces affaires constituaient des instances en cours au moment de son entrée en vigueur ; elle choisit alors de leur appliquer sa jurisprudence Perruche pour que soit respecté le juste équilibre entre les exigences de l'intérêt général et les impératifs de sauvegarde du droit au respect des biens;
Il peut paraître surprenant que cette application de la Jurisprudence "Perruche" pour les instances en cours soit fondée sur le "droit des biens", alors que la "perte de chance de ne pas être né" semble relever de "l'essence de la personne humaine"... Cependant, encore une fois, il est question d’allouer une indemnisation en vue de permettre à l’enfant de vivre avec dignité et un certain confort. D’ailleurs, au moment de l’arrêt Perruche, le Conseiller SARGOS écrivait dans son rapport : « où est le véritable respect de la personne humaine et de la vie : dans le refus abstrait de toute indemnisation ou au contraire dans son admission qui permettra à l’enfant de vivre, au moins matériellement, dans des conditions plus conformes à la dignité humaine, sans être abandonné aux aléas d’aide familiale,privée ou publique ? ».

- D'autre part, la Cour de cassation, toujours sur le fondement du premier protocole additionnel à la CEDH, a estimé que l'application de la loi Kouchner aux instances en cours portait gravement atteinte au droit de créance de l'enfant né handicapé, puisque ce dernier ne pouvait plus se prévaloir d'un préjudice du seul fait de sa naissance et en obtenir réparation. La Cour de cassation va plus loin que la Cour Européenne des Droits de l'Homme (décision Draon contre France précitée), en ce qu'elle reconnaît un droit de créance aux parents, mais aussi à l'enfant handicapé. Elle reprend ainsi sa JP Perruche.

Cette position, qu’il convient de rapprocher de trois autres décisions rendues le même jour sur l’application de la directive RC produits de juillet 1985 (v. PRODUITS (RESPONSABILITE DU FAIT DES), n° 56, p. 5488), a, d’abord, valeur de principe : la plus prestigieuse juridiction française reconnaît, sans ambiguïté, la prééminence du droit européen sur le droit interne ; certes, l’information n’étonnera pas les juristes, mais les six décisions rendues par la Cour, par leur formulation même, constituent un acte d’allégeance inédit, réduisant, du même coup, les capacités d’action du législateur et des pouvoirs publics français.




• L’ARRET DRAON : décision administrative

Par un arrêt du 24 février 2006, le Conseil d'Etat, revient sur l’avis DRAON de 2002, conformément à la décision de la Cour européenne des Droits de l'Homme du 6 octobre 2005, refuse de faire application des dispositions de l'article 1er de la loi Kouchner.

En l'espèce, précisons qu'aucune indemnisation n'est accordée aux parents de l'enfant né handicapé, puisque le Conseil d'Etat, statuant au fond de l'affaire, relève qu'aucune faute n'a été commise.

• Différence entre solution judiciaire/administrative

Restait alors une question fondamentale portant sur le fait de savoir si le Conseil d'Etat allait suivre sa jurisprudence classique et refuser l'indemnisation du préjudice du seul fait de la naissance de l'enfant handicapé ou adopter une conduite identique à celle de la Cour de cassation dans ses arrêts du 24 janvier 2006 en acceptant non seulement l'indemnisation du préjudice matériel des parents lié aux charges particulières découlant du handicap de leur enfant, mais aussi l'indemnisation du préjudice de l'enfant du seul fait de sa naissance.
La réponse nous est apportée par l'arrêt du 24 février 2006, dans lequel le Conseil d'Etat reste fidèle à sa jurisprudence constante depuis l'arrêt Centre hospitalier de Nice contre Quarez en date du 14 février 1997 : par principe, le Conseil d'Etat refuse d'accorder une indemnisation à l'enfant handicapé pour le préjudice que celui-ci subit du seul fait de sa naissance.

En définitive, l'opposition persistante de la Cour de cassation et du Conseil d'Etat sur la question de l'indemnisation du préjudice subi par un enfant handicapé, du seul fait de sa naissance, prouve que le débat éthique sur le sujet est loin d'être clos.


CONCLUSION

Tout a commencé avec les réactions des assureurs face a la JP Perruche, nous finirons donc par nous intéresser à leur situation actuelle.

Dès lors, pour les praticiens libéraux, les conséquences pécuniaires d'un tel arrêt peuvent être lourdes. Cependant, ce risque reste limité aux instances en cours au 7 mars 2002 et les compagnies d'assurances n'ont aucune raison de vouloir se retirer du marché de l'assurance responsabilité civile professionnelle des gynécologues obstétriciens, puisque la loi Kouchner et la loi About du 30 décembre 2002 permettent une maîtrise plus complète du risque en cause.

La charge financière finale pesant sur les compagnies d'assurance reste à identifier
Si la charge financière pesant sur les assureurs des praticiens dont des instances sont en cours au 07 mars 2002 peuvent souffrir de répercutions pécuniaires lourdes et catastrophiques, il n'en est pas de même pour les instances commencées après l'entrée en vigueur de la loi du 4 mars 2002.

De plus, depuis la loi About du 30 décembre 2002 n°2002-1577 relative à la responsabilité civile médicale, les compagnies d'assurances ont la possibilité de maîtriser le risque souscrit, en rédigeant leurs contrats sur une base réclamation et non plus sur une base fait dommageable.

La menace de certaines compagnies de se retirer du marché de l'assurance responsabilité civile professionnelle médicale, à effet le 1er janvier 2007, n'est alors pas justifiée au regard de ces nouvelles dispositions légales très favorables aux compagnies d'assurances.

Depuis l'entrée en vigueur de la loi du 4 mars 2002, seule la « faute caractérisée » du praticien permet au parents de demander une indemnité à l'assureur de la responsabilité civile professionnelle médicale du praticien, au titre de leur seul préjudice. Il n'existe plus, pour l'enfant handicapé, de préjudice causé par le seul fait de sa naissance. De plus, la loi énonce que : « ce préjudice ne doit pas inclure les charges particulières découlant tout au long de la vie de l'enfant, de ce handicap. La compensation de ce dernier relève de la solidarité nationale. ».

Les compagnies d'assurances sont donc suppléées à 100 % par l'Etat pour la partie d'indemnisation la plus lourde.

De plus, depuis la loi About précitée, les compagnies d'assurances peuvent souscrire des contrats d'assurance émis sur une base « claims made », autrement dit réclamation. En d'autres termes, la compagnie d'assurances ne garantit que les dommages réclamés par la victime au cours du contrat d'assurance qu'elle a souscrit. Ce type de garantie permet aux assureurs de ne pas connaître du passé connu de l'assuré, donc des instances en cours au 7 mars 2002. Aucun risque, dés lors, n'existe pour toute nouvelle souscription de contrat.

Par ailleurs, suite à la Loi de 2002, beaucoup d’associations de parents d’enfants handicapés se sont senties lésées par la mise en œuvre de la Solidarité Nationale, celle-ci étant certes conforme à l’éthique et au droit, mais répondant bien moins aux besoins matériels d’un enfant handicapé.

Sur ce point, l’impact de l’affaire Perruche est sans nul doute « d’avoir fait réfléchir aux limites du droit lui-même face à des malheurs qui appellent d’autres types de réponses que celles, nécessaires, que le droit peut fournir ».