Sujet :

THEME VI : L'ACTION DIRECTE

Marie
   Posté le 09-04-2007 à 13:05:50   

Les fondements de l’action directe en droit des assurances


L’action directe permet à un créancier de poursuivre directement, en son nom propre et pour son propre compte le débiteur de son débiteur. Cette création purement prétorienne a été consacrée par la jurisprudence dans divers domaines et notamment dans celui qui nous intéresse : le droit des assurances. Notre exposé consistera par conséquent en une étude du droit spécial avec quelques références au droit commun.

L’action directe est une action contre le débiteur de son débiteur : et pourtant à ne pas confondre avec l’action oblique ou paulienne. Tout d’abord ces actions sont des actions judiciaires alors que l’action directe existe sans intervention du juge.
Et le terme « action » directe ne doit pas être compris dans sa définition première puisque l’action directe est plus un droit qu’une action à proprement parler.
De plus : différences avec actions qui tendent à des mesures de protection du gage des créanciers.
Art 1166-action oblique (« néanmoins, les créanciers peuvent exercer tous les droits et actions de leur débiteur, à l‘exception de ceux qui sont exclusivement attachés à la personne) : la victime disposerait de l’action oblique contre l’assureur mais l’inconvénient majeur est que la créance d’indemnité tombe dans le patrimoine de l’assuré, ce qui présente pour la victime le risque du concours des créanciers sur cette indemnité. La jurisprudence a trouvé en l’action directe une garantie d’indemnisation des victimes qui ne pouvaient et ne devaient pas de trouver en concours avec les créanciers de son débiteur responsable de son préjudice.

Spécifiquement, en droit des assurances, la victime dispose d’une action directe à l’égard de l’assureur du responsable ou de l’auteur des faits. En effet, plutôt que d’intenter une action en responsabilité contre l’auteur de son dommage, la victime peut préférer agir directement contre l’assureur du responsable, dont la solvabilité est la meilleure garantie de son indemnisation.

Quelques propos introductifs :

L’action directe est d’ordre public, elle trouve en vertu de la Loi son fondement dans le droit à réparation du préjudice de la victime. De plus même si le contrat d’assurance est soumis à un droit étranger et que le dommage a été occasionné en France le juge peut recevoir l’action directe de la victime et ce depuis un arrêt de 1936 (Requêtes 24 février 1936) que l’action directe doit être accueillie « dans un intérêt d’ordre public dont l’observation s’impose aux étrangers comme aux nationaux ». De plus l’article 9 de la Convention de La Haye du 4 mai 1971 sur la Loi applicable en matière d’accidents de la circulation routière admet que les personnes lésées ont toujours le droit d’agir contre l’assureur du responsable si ce droit est admis par la Loi du contrat d’assurance.
L’action directe ne peut être exercée que par les personnes qui peuvent agir en responsabilité c’est à dire les
victimes elles-mêmes atteintes directement ou par ricochet qui invoquent un préjudice personnel mais aussi les ayants droit de la victime décédée qui trouvent l’action dans la succession. Les personnes et organismes subrogés aux victimes notamment les tiers payeurs peuvent également exercer l’action directe.

Ainsi il conviendra d’étudier dans un premier temps quels sont les fondements de l’action directe et dans un second les conditions d’exercice de cette dernière.

1 Les fondements de l’action directe :

L’action directe est fondée sur le droit à réparation de la victime.

A Une action fondée sur le droit à réparation de la victime :

L’action directe est un droit propre de la victime, ce droit est issu de l’évolution de la jurisprudence en la matière.

1) Evolution de la jurisprudence et naissance du principe :
La jurisprudence et non la Loi a admis que la victime puisse agir directement contre l’assureur du responsable du fait ayant causé son préjudice. C’est par un arrêt du 14 juin 1926 que la Cour de cassation rendu au visa de la Loi du 28 mai 1913 va reconnaître le principe. En effet la victime d’un accident trouve dans le droit propre qui lui est conféré par la Loi sur l’indemnité dont l’assureur est débiteur, la source d’une action directe lui permettant de mettre en cause celui-ci en même temps que l’assuré. L’assureur doit conserver la somme dans l’intérêt de la personne lésée et cette obligation implique que la victime puisse en réclamer directement le paiement.
Puis par un autre arrêt du 28 mars 1939 la Cour de cassation a affirmé que l’action directe de la victime contre l’assureur du responsable trouvait son fondement dans son droit à réparation de son préjudice. L’action directe de la victime « trouve, en vertu de la Loi, son fondement dans le droit à réparation du préjudice causé par l’accident dont l’assuré est reconnu responsable »
En application de l’article 53 de la Loi du 13 juillet 1930 et de l’article L124-3 Code des assurances issu de cette même Loi « l’assureur ne peut payer à un autre que le tiers lésé tout ou partie de la somme due par lui, tant que ce tiers n’ a pas été désintéressé, jusqu’à concurrence de ladite somme, des conséquences pécuniaires du fait dommageable ayant entraîné la responsabilité de l’assuré »
La Loi a donc consacré la jurisprudence de 1926 : le blocage des fonds est imposé.

2) Effets de l’action directe :
La Loi de 1913 a voulu accorder un privilège à la victime d’un accident afin que l’indemnité d’assurance ne désintéresse pas les autres créanciers du débiteur responsable : l’indemnité doit par conséquent être affectée à la victime et à elle seule. Il s’agissait d’offrir victimes une amélioration de leur sort ce que ne pouvait pas faire le droit commun par l’effet de l’action oblique puisque la victime était considérée comme un créancier ordinaire.
Voir article L124-3 du Code des assurances.
L’action directe consiste à reconnaître une sûreté sur l’indemnité d’assurance entrée dans le patrimoine de l’assuré responsable, puis à lui permettre d’appréhender directement cette indemnité chez l’assureur afin que la somme d’argent n’ait plus à passer par le patrimoine de l’assuré. La mesure de blocage de l’indemnité équivaudrait la reconnaissance d’un droit propre de la victime sur cette indemnité, et dans la pratique il y a un transfert direct des sommes au profit de la victime et ce même si l’article du Code ne parle pas d’un droit propre.

B Une action exercée au titre du contrat d’assurance :

La Cour de cassation a affirmé dans un arrêt du 28 mars 1939 que « si l’action de la victime d’un accident contre l’assureur est subordonnée à l’existence d’une convention passée entre ce dernier et l’action de l’auteur de l’accident et ne peut s’exercer que dans ses limites…»

1) La créance issue du contrat d’assurance :
L’action directe est fondée sur le droit à réparation de la victime. Néanmoins elle s’exerce contre l’assureur qui n’est pas « responsable » mais débiteur d’une obligation de garantie issue et née du contrat d’assurance. La victime doit établir sa créance de réparation envers l’assuré mais doit également prouver l’obligation de garantie due par l’assureur née du contrat d’assurance. La victime qui agit contre l’assureur invoque la garantie dont l’assuré lui même bénéficie : la garantie contractuelle d’assurance s’apprécie au jour du sinistre qui la met en jeu.
Ps : l’objet de la garantie de l’assureur est d’abord la dette de responsabilité de l’assuré.

2) Une obligation d’indemnisation limitée à l’obligation de garantie de l assureur :
Pour qu’une personne puisse agir directement contre l’assureur du responsable elle doit justifier d’un droit propre sur l’indemnité d’assurance. Selon le droit commun la créance de réparation naît au jour du dommage et entraîne corrélativement la naissance de la dette de responsabilité au passif de l’auteur du dommage. Si on veut que l’assurance ait pour fonction de garantir le paiement de cette créance, comme le ferait une sûreté, le droit à réparation est utilisé comme le fondement d’un droit sur l’indemnité d’assurance. En fait la victime a 2 débiteurs puisqu’elle est titulaire d’un droit à réparation du dommage et d’un droit à indemnité d’assurance à la condition que le contrat d’assurance existe et couvre le risque considéré.
Si l’obligation de garantie naît du contrat d’assurance il en résulte qu’en principe l’assureur peut opposer à la victime toutes les exceptions qu’il aurait pu opposer à l’assuré cocontractant.
En principe donc et en application de l’article L112-6 du Code des assurances « l’assureur peut opposer au porteur de la police, ou au tiers qui en invoque le bénéfice, les exceptions opposables au souscripteur originaire ».
Ainsi les exceptions fondées sur l’existence ou la validité du contrat et les exceptions fondées sur l’existence ou l’étendue de la garantie sont opposables à la victime.
Pas de liste exhaustive.
Des exemples : nullité ou résiliation, prise d’effet de la garantie retardée par une clause contractuelle, suspension de la garantie pour non paiement des primes (rappelons que depuis un arrêt du 31 mars 1993 la compensation entre les primes impayées et l’indemnité due n’est plus possible : la victime n’est pas tenue au paiement des primes), les exclusions de risques ou encore l’insuffisance de garantie.
Cette opposabilité connaît toutefois une exception : les déchéances ne sont pas opposables aux victimes et ce depuis un arrêt du 15 juin 1931 : « la Loi a crée au profit de la personne lésée par un accident un droit propre sur l’indemnité, dont en vertu du contrat d’assurance, l’assureur est tenu envers l’assuré ; ce droit qui prend naissance au jour de l’accident ne saurait à dater de cet événement, être affecté dans son existence ni dans son objet, par aucune cause de déchéance encourue personnellement par l’assuré, pour inobservation des clauses de la police »
Pour conclure le droit de créance de la victime naît au jour du dommage et les exceptions nées postérieurement au dommage ne sauraient être opposées à la victime qui dispose d’un droit de créance certain. L’assureur est ainsi mis dans la situation d’une caution puisqu’il doit acquitter envers la victime une dette de son assuré à l’égard duquel il ne doit plus sa garantie.

2 Conditions d’exercice de l’action directe:

Les juridictions judiciaires sont compétentes pour connaître des actions directes, la plupart du temps civiles ou commerciales, en fonction des règles générales applicables nées du contrat d’assurance. De plus l’assureur peut intervenir au procès ou être mis en cause devant les juridictions répressives quand la responsabilité de l’assuré est engagée à l’occasion d’homicides ou de blessures involontaires, et ce en application de la Loi du 8 juillet 1983.
Pour exercer l’action directe, la victime doit être créancière d’une indemnité de réparation : cette condition est fondamentale et elle suppose que soit établie la responsabilité de l’assuré et que celui-ci n’ait pas préalablement indemnisé la victime.

A L’appel en la cause de l’assuré auteur des faits ayant causé le préjudice :

1) Mise en cause de l’assuré responsable initialement nécessaire :
Initialement la mise en cause de l’assuré était nécessaire car on estimait que si la créance d’indemnité devait être fixée dans son principe et dans son étendue il fallait que cela se fasse de manière contradictoire avec l’assuré responsable. 3 arrêts en date du 13 décembre 1938 ont expressément souligné cette nécessité. (« l’exercice de l’action directe exige nécessairement la présence de l’assuré aux débats lorsque en dehors de toute reconnaissance de la responsabilité par l’assureur, aucune condamnation n’est préalablement intervenue contre lui, à l’effet de fixer contradictoirement entre les parties d’abord l’existence de la créance de réparation et son montant, en second lieu l’indemnité due par l’assureur et que ce dernier sera tenu de verser jusqu’à due concurrence entre les mains de la victime »)

2) Infléchissement de la jurisprudence : une mise en cause qui n’est plus nécessaire, mais qui reste utile :
La Cour de cassation a finalement infléchi le principe en admettant des exceptions à la mise en cause de l’assuré. Elle n’exigeait pas une telle mise en cause quand celle ci était impossible ou inutile.
- Impossible lorsque l’auteur du dommage est inconnu mais membre d’un groupe d’assurés (accident de chasse : 1è civile 22 juillet 1986) En effet dans une telle hypothèse l’individualisation de l’assuré responsable était impossible mais la garantie était certaine.
-Inutile par exemple si l’assureur a reconnu lui même la responsabilité civile de son assuré sans contestation . En 1997 (4 mars 1997) la Cour de cassation affirme que « l’action n’est recevable sans mise en cause de l’assuré que lorsque l’assureur reconnaît la responsabilité de celui-ci ou lorsque l’existence de la créance de réparation et son montant ont déjà été fixés judiciairement de manière définitive à l’égard de l’assuré ».
-Actuellement la mise en cause n’est plus nécessaire.
En effet la Cour de cassation est revenue sur sa jurisprudence traditionnelle par un arrêt du 7 novembre 2000, elle énonce que « la recevabilité de l’action directe n’est pas subordonnée à l’appel en la cause de l’assuré par la victime ». Un autre arrêt en date du 29 février 2000 avait amorcé cette évolution que l’on déduisait de l’attendu principal « l’action directe engagée par la victime contre l’assureur ne peut être accueillie que si la responsabilité de l’assuré est établie, celui-ci étant appelé en la cause, soit par l’assureur, soit par la victime ».
Toutefois il est indispensable de souligner que si la mise en cause n’est plus une condition sine qua non à la validité de l’action, celle-ci demeure utile pour que la décision soit opposable à l’assuré responsable. Ainsi la mise en cause n’a pas perdu toute sa justification.
Une précision quant au responsable assuré soumis à une procédure de LJ ou RJ ; l’action directe s’est heurtée un temps à l’arrêt des poursuites individuelles imposé par le droit des procédures collectives. La Cour de cassation hésitait entre l’application du droit des procédures collectives protecteur des créanciers de l’entreprise ou entrepreneur en difficulté et le droit de l’action directe protecteur des victimes. Le débat, qui n’avait finalement pas raison d’être, a été tranché par la Cour de cassation réunie en chambre mixte le 15 juin 1979 (application Loi 1967) et la première chambre a confirmé la position de la Cour le 25 mars 1991 (application Loi 1985). Selon la Cour de cassation la victime a un droit exclusif sur l’indemnité due par l’assureur de l’auteur responsable du dommage, dès lors il est inutile de vérifier la créance puisque cette créance est due par l’assureur. Si la dette de la responsabilité est à la charge de l’assureur les intérêts des créanciers de l’entreprise en RJ ou LJ ne sont pas lésés.

B Règles de preuve et de prescription :

1) Preuve de la garantie d’assurance :
La victime qui assigne un assureur doit démontrer que celui ci a délivré une garantie d’assurance à son assuré et ce par tous moyens. Le plus souvent cette preuve n’est pas difficile à rapporter puisque l’assuré fournit à la victime copie de la police d’assurance et le cas échéant les coordonnées de son assureur, lequel doit communiquer le contrat d’assurance. Si celui ci refuse la victime peut faire une demande en justice qui lui sera accordée et ce sous astreinte. L’assureur qui ne communique pas le contrat d’assurance succombe au risque de la preuve et sa garantie est considérée comme acquise.
Une fois établis, le préjudice et l’obligation de l’assureur de garantir le risque considéré, la victime peut agir directement contre celui ci en respectant les règles de prescription qui s’imposent en la matière.

2) Principe : le délai de prescription est celui de l’action en responsabilité :
La prescription biennale prévue par l’article L114-1 du Code des assurances n’est pas applicable à l’action directe de la victime contre l’assureur du responsable. En effet elle correspond à la mise en œuvre d’un droit propre de la victime issu de son droit à réparation et non à l’utilisation par la victime du droit de l’assuré contre l’assureur, droit qui est, lui, soumis à la prescription biennale. De plus soumettre l’action directe à la prescription de 2 ans aurait eu pour conséquence de priver la victime de la protection que l’action directe a pour but de lui donner.
Le délai de prescription est donc celui de l’action en responsabilité.
Ce principe a été admis par un arrêt du 28 mars 1939 précité, car il a fondé l’action directe sur le droit à réparation du préjudice de la victime causé par le dommage. La prescription est dès lors de droit commun puisqu’elle est calquée sur le délai de prescription applicable à l’action en responsabilité civile de la victime contre l’auteur du dommage. En fait, l’action directe contre l’assureur peut être exercée tant que l’action de la victime contre l’assuré n’est pas elle même prescrite. Dès que l’action en responsabilité est prescrite l’action directe l’est également.
La jurisprudence a souhaité prolonger le délai : à compter du jour où la victime a assigné le responsable assuré, un nouveau délai, biennal celui-ci, commence à courir pour l’engagement de l’action de l’assuré contre l’assureur. Et par un arrêt en date du 11 mars 1986, la Cour de cassation a admis que la victime puisse assigner directement l’assureur aussi longtemps que l’assuré est en droit d’assigner cet assureur. (« si l’action de la victime d’un accident contre l’assureur de responsabilité trouve son fondement dans le droit de la victime à réparation de son préjudice, et se prescrit en principe par le même délai que l’action de la victime contre le responsable, elle peut cependant être exercée contre l’assureur tant que celui-ci est exposé au recours de son assuré »)
Trois actions et trois prescriptions doivent être distinguées :
- l’action en responsabilité civil, menée par la victime contre l’assuré responsable : la prescription est celle qui est applicable à la responsabilité en cause
- l’action en garantie d’assurance, intentée par l’assuré contre son assureur : prescription biennale courant à compter du recours en justice de la victime contre l’assuré
- et l’action directe en paiement de l’indemnité d’assurance contre l’assureur de responsabilité par la victime: prescription de l’action en responsabilité augmentée des 2 années de prescription biennale.
Cependant il existe une exception : on applique la prescription biennale lorsque la prescription applicable à l’action en responsabilité est très brève car la jurisprudence estime que l’action directe de la victime contre l’assureur peut être exercée tant que celui-ci demeure exposé au recours de son assuré.